Le bruit court que Jeff Bezos a renoncé à signer avec l’électricien national français. Pourtant, le mégacontrat de 860 millions d’euros avec Amazon Web Services (AWS), numéro un mondial de l’hébergement de données informatiques semblait bien parti malgré les protestations locales.
Chroniques d’une ménagerie qui s’annonce mal pour le coq français.
Un départ idyllique
La filiale d’Amazon avait pour mission l’archivage numérique de l’entreprise publique française. Le parc à monitorer comprend le million de pièces nécessaires au fonctionnement des 56 réacteurs nucléaires d’EDF. Selon le calendrier initial de début 2024, l’EPR de Flamanville, récemment raccordé au réseau après dix-sept ans de travaux, sera joint au dispositif de sauvegarde.
Interrogé sur l’impact sur la confidentialité des données sensibles nationales, EDF a précisé que l’opération s’est déroulée dans le strict cadre des règles européennes.
Consulté, le Ministère français de l’économie a distingué les administrations de gestion informatique des industriels, ces derniers étant plus libres vis-à-vis de la loi.
Des voix ont décrié l’absence d’offre locale de qualité, capable de prendre en charge un marché aussi sensible. Le 16 février dernier Luc Rémont, le PDG d’EDF, a défendu son choix expérimental et stratégique face à la presse nationale.
Cependant, l’entreprise publique a refusé toute déclaration, affirmant que le contrat est couvert par le secret commercial et industriel. Pourtant à l’orée 2025, le dossier EDF-AWS refait surface, et pas de la plus belle des manières.
Feux croisés
Un flou persiste. D’un côté, Le Canard Enchaîné pointe du doigt Amazon qui se serait rétractée au dernier moment malgré les premiers tests concluants. Ce que dément mordicus l’accusée, au micro des Échos :
Le nœud du problème semble provenir de la nature sensible des informations prises en compte par le contrat de maintenance prédictive.
Un gravillon sous le pied
Si les voyants européens sont au vert, ceux de l’Etat français virent au rouge à l’examen du contrat de maintenance prédictive entre EDF et Amazon. Rémont a tenté d’apaiser les premières voix alarmistes :
Un discours insuffisant pour les pouvoirs publics français, qui jouent sur la montre pour tirer les choses au clair.
Des divergences irréconciliables
Comment n’a-t-on rien vu venir ? En tant qu’ “opérateur d’importance vitale”, EDF est légalement tenu de protéger fermement et stocker ses données sur le territoire français.
En face, nous avons AWS, une entreprise américaine soumise de facto à l’inspection inopinée des autorités fédérales américaines.
Or le député Modem vendéen et spécialiste des questions numériques Philippe Latombe estime que c’est trop cher payé pour l’Etat français :
Pour bénéficier du logiciel de gestion de stock très performant d’Amazon, il faut aussi confier ses données à AWS. C’est un package. (…) Les data logistiques de maintenance dont il est question donnent une vision complète de l’état du parc nucléaire français. Vous savez quand une centrale sera à l’arrêt, donc quand la production d’électricité baissera. Le tout corrélé avec les données météorologiques, vous avez une idée de la dépendance énergétique française. C’est extraordinairement stratégique.
Inspectons à la loupe la dépendance d’Amazon aux autorités fédérales américaines. Elle implique la subordination à la réglementation FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) et au Cloud Act des États-Unis. En d’autres termes, les données d’Amazon peuvent être transférées à la CIA pour examen, celles d’EDF incluses si aucune barrière n’est érigée en amont. Malgré cette sonnette d’alarme chauvine, le discours d’Amazon se veut neutre et professionnel :
Seulement, personne ne peut le garantir sur parole. Pas même le tumultueux historique high-tech international récent :
Vu ces contraintes macro-économiques et géopolitiques, il était impossible de mentionner sur le contrat écrit que les données d’EDF seront stockées en France. Résultat immédiat : AWS a dû se rétracter.
À pile ou face : Une expertise de pointe ou la souveraineté nationale pour l’Hexagone ?